Lors du dernier Lean Kanban France, les 3 et 4 Novembre 2015, Claudio Perrone a présenté PopcornFlow, un outil simple – néanmoins puissant – d’amélioration continue permettant d’introduire le changement rapide et d’aider à une meilleure prise de décision. A l’occasion de sa nomination pour les Brickell Key Award 2016, j’en profite pour faire un retour sur l’une des sessions préférées du public et de ma rencontre avec une personne que j’ai trouvé humainement enrichissante.
Ma rencontre avec Claudio Perrone
Pour être tout à fait honnête, lorsque j’ai vu la photo de Claudio dans le programme, je n’étais pas très rassuré. La combinaison avec la sonorité de son nom me donnait l’impression que ce serait une personne plutôt sérieuse et difficile à atteindre. Allez savoir pourquoi !
En tant qu’organisateur du Lean Kanban France 2015, nous avons eu le privilège de dîner avec les speakers la veille de l’événement et c’est à ma grande surprise que j’ai découvert une personne très avenante, décontractée (en T-shirt), souriante et surtout qui s’intéresse aux autres ! Ce dernier élément m’a d’ailleurs pris un peu de court moi qui suit plutôt de nature discrète dans ces cas là.
Je me rappelle de cette question qu’il me posa et à laquelle je m’attelle encore à répondre :
Comment devrais-je te présenter si je voulais parler de toi à d’autres ?
C’est sous ce climat bienveillant que nous avons commencé à échanger au sujet du métier de Coach (développement personnel) et de l’utilité qu’il pourrait avoir dans les organisations.
C’est alors que j’ai eu une introduction rapide à PopcornFlow sur le cas d’un dirigeant qui a l’impression qu’il doit toujours tout faire par lui-même. Il m’explique qu’en tant que consultant, ce qu’il emmène avec lui sont des modèles, des expériences et des options ! Je me suis alors rendu compte que l’approche était assez similaire à celle que j’utilisais en coaching individuel, mais cela m’a surtout permis de la résumer en quelques mots : ouvrir le champ d’options des personnes. Merci Claudio pour cela ! 🙂
Comme quoi, ne vous fiez pas toujours aux apparences et vivez l’expérience de la rencontre en direct avant de vous faire une idée ! 🙂
Rentrons maintenant dans le vif du sujet !
PopcornFlow
PopcornFlow est une méthode conçue pour introduire, maintenir et accélérer le changement. En effet, elle part d’un constat simple :
Améliorer sans changer est impossible.
L’objectif est alors de créer ce que Claudio appelle un « Learning Stream » (ce que l’on apprend au fur et à mesure) que l’on pourra éventuellement mettre en parallèle d’un « Value Stream » (ce que l’on fait pour gagner de l’argent), habituellement réalisé par un tableau Kanban. Claudio précisait pendant sa conférence qu’il était propice à être cité, c’est pourquoi je vais le faire ! 🙂
Si tout ce que vous apprenez n’est que pratique, alors vous êtes esclave de la pratique.
Si vous en comprenez les principes, alors vous êtes libres de choisir ce qui fonctionne le mieux pour vous.
Dans ce sens, découvrons les principes sous-jacents à PopcornFlow pour voir si cela nous convient ! 😉
1er Principe : le virus
Lorsque l’on parle de changement, on peut voir souvent quelque chose d’énorme, de lent et d’effrayant – comme Godzilla.
Et si l’on arrivait à le rendre infiniment petit et et que l’on apprenait à évoluer rapidement – aussi rapidement qu’un virus ? En effet, les virus ont cette résilience qui fait qu’ils changent et mutent constamment, génération après génération, que l’on ait trouvé un médicament ou non pour les traiter.
Si le changement est difficile, rendez-le continu.
– 1er Principe de PopcornFlow (aka le principe du « virus »)
On sent l’inspiration tirée d’eXtreme Programming de Kent Beck avec son « c’est difficile alors faisons-le encore plus ». Dans la même idée – voire poussée un peu plus loin – c’est faire du changement une habitude de manière à ce qu’il ne soit plus source de souffrance ou de difficulté. Cela permet d’ailleurs de mieux l’appréhender et de le transformer en ce que l’on pourrait appeler un non-événement. En effet, plus une chose est répétée, moins on y fait attention !
Changer le système
En prenant en compte ce cheminement de pensée, c’est comme si on voulait rebrancher le cerveau d’une autre manière et ça c’est difficile ! C’est comme arriver dans une équipe et leur dire « auto-organisez vous ! » ou dire à leur manager « deviens un leader serviteur ! ». Cela ne marche pas – malheureusement – et on le sait ! 😉
Une des raisons est que l’on demande souvent aux personnes de changer, mais on ne leur donne pas les moyens de le faire. C’est pourquoi une autre approche est d’agir sur le système, là où les décisions sont prises mais aussi là où les problèmes sont générés. Dit autrement, ce n’est pas le problème que l’on va essayer de résoudre, mais le système qui l’a produit.
L’important est la démarche pas le résultat
Claudio raconte alors l’histoire suivante :
Un journaliste est allé dans une usine Toyota et a demandé aux managers :
Pourquoi permettez-vous à vos concurrents de venir dans vos usines et copier tous vos outils ?
Les managers ont alors répondu : Ce qu’ils ont besoin de voir n’est pas visible.
Le Kanban, le Value Stream Mapping, le 5S ne sont que des solutions apparentes, résultats de la démarche de pensée de Toyota, pas la pensée elle-même. Comme on le dit : toutes les solutions sont bonnes, mais pas pour tout le monde. En effet, il est primordial de comprendre la démarche qui a permis à d’autres de définir une pratique. Une solution n’est autre que le résultat d’une réflexion appliquée dans un contexte donné, faites donc bien attention avant de copier des pratiques extérieures chez vous.
Ce n’est pas ce que l’on fait mais plutôt ce que l’on apprend en le faisant qui importe.
2ème Principe : l’urgence d’amélioration continue (kaizen)
Claudio parle ici du concept de l’inertie, notre plus grande ennemie :
Une tendance à ne rien faire ou à ne pas changer.
Encore une fois, lorsque le changement nous paraît tellement énorme, nous avons tendance à ne pas bouger. Pourquoi ? Simplement parce-que le risque que les choses empirent fait plus peur que le fait de rester dans une situation inconfortable mais connue ! Maintenant, si l’on regarde la réaction au changement plutôt que le changement lui-même – le rendant plus palpable – peut-être que cela aurait plus de chances de réussir.
En effet, chacun peut avoir une opinion sur quelque chose à améliorer. A t’on vraiment besoin d’avoir une information parfaite pour pouvoir commencer à progresser ?
Tout le monde a le droit d’avoir une opinion, mais… une opinion partagée est un fait.
– 2ème Principe de PopcornFlow (aka le principe de « l’urgence d’amélioration continue »)
L’idée est donc de partager son opinion sur un élément que l’on pense devoir être amélioré à l’équipe. Si l’équipe partage cette opinion, alors on peut la considérer comme un fait et commencer à traiter le problème. En effet, au lieu de passer des heures à analyser pour savoir si le problème est bien un problème, expérimentons ! Permettons-nous d’avoir une hypothèse imparfaite, peut-être que nous convergerons ensemble sur un résultat qui nous conviendra à tous ! 😉
3ème Principe : le skateur
Peut-on vraiment prétendre que l’on échouera jamais ? Comment pouvons-nous voir l’échec autrement ?
C’est lorsque l’on n’obtient pas un résultat à la hauteur de nos espérances que l’on peut ressentir la frustration de l’échec. Cependant, observée sous l’angle de vue Agile, c’est-à-dire comme un apprentissage, cela peut nous aider à générer un autre type de comportement.
Nous n’échouons vraiment que lorsque l’on se limite les opportunités d’apprendre.
Et si la vie était comme vivre sur un skateboard, si l’on veut apprendre, eh bien il faut essayer ! Alors autant se préparer à tomber !
Les seules personnes qui ne tombent jamais, sont celles assises sur un banc regardant leur vie défiler devant elles.
Ainsi vient le 3ème principe de PopcornFlow :
Ce n’est pas « échoue rapidement, échoue souvent »…
C’est « apprend rapidement, apprend souvent ».
– 3ème Principe de PopcornFlow (aka le principe du « skater »)
Le Processus
Problèmes & observations
Première étape, identifions les problèmes ou les points d’améliorations.
Un problème remonté par une personne est dans un premier temps considéré comme une opinion, c’est pourquoi on peut inscrire son nom sur le Post-it associé. En effet, est-ce véritablement un problème pour l’ensemble de l’équipe ? Vérifions cela d’abord avant de nous engager dans une résolution – qui nous coûtera en temps et en argent quoi qu’il arrive.
Si cette opinion est partagée, alors on peut considérer que c’est un fait (2 ème Principe de PopcornFlow). Même si l’information est imparfaite, on est d’accord en tant qu’équipe de commencer à l’étudier. On s’autorise ainsi à être faux, mais on se donne surtout l’opportunité d’aboutir sur quelque chose qui pourra au final nous apporter.
Ex : « L’équipe a des problèmes de communication », « La qualité du code est mauvaise »…
Options
A partir du problème, il est temps de générer des options, des pistes de résolution. Claudio évoque la « Règle de Trois », pas forcément au sens où on l’entend habituellement mais au sens de Virginia Satir :
Avoir un choix n’est pas un choix; avoir deux choix est un dilemme; et avoir trois choix offre de nouvelles possibilités. »
Ainsi, pour garder le champ d’options ouvert, faites l’effort d’en trouver au moins 3 ! 😉
Note : En tant qu’animateur, commencez par faire émerger les options des autres puis complétez par la suite avec les vôtres pour ne pas réduire la créativité du groupe.
Ex : « Échanger avec l’équipe », « Faire des entretiens individuels », « Faire du TDD », « Faire du Pair Programming »…
Expérimentations possibles
A partir des options, on définit des expérimentations permettant de les explorer. En effet, c’est un point de départ subtil mais crucial issu de la pensée scientifique et du Lean Startup.
Ex : « Faisons une réunion d’équipe tous les matins », « Faisons du Pair Programming pendant 3 jours »…
Engagement (Committed)
On sélectionne alors une ou plusieurs expériences que l’on s’engage à mettre en oeuvre. On fera bien évidemment tout ce qui est en notre pouvoir pour que cela fonctionne pour garantir un apprentissage, quel qu’il soit !
Pour ce faire, on détaille un petit peu plus les expériences :
Il est important que les attentes soient mesurables, que ce soit quantitativement ou qualitativement. En effet, il faut avoir la capacité de répondre facilement à la question : est-ce que cela a marché ?
Ex. d’attentes : « L’équipe perd moins de temps à chercher l’information », « Nous avons moins de bugs remontés en moyenne », « Il y a une meilleure connaissance de la globalité du code »
En cours (Ongoing)
C’est parti pour l’expérimentation ! 😉
Revue
Arrivés à la date de revue, on fait un point sur les résultats de l’expérience en comparant ce que l’on a obtenu avec ce que l’on attendait ou espérait.
Voici le type de questions que l’on peut se poser :
- Quelles expérimentations avions-nous prévu de faire ?
- Qu’avons-nous réellement fait ?
- Qu’attendions-nous qu’il se passe ?
- Que s’est-il réellement passé ?
- Qu’avons-nous appris ?
Note : Cela peut également être effectué dans le cadre des rétrospectives.
Après (Next)
Basé sur ce que l’on a appris, qu’allons nous faire après ?
Plusieurs options s’offrent alors à nous :
- Les résultats ne sont pas flagrants, peut-être que cela mériterait d’être prolongé de X jours/semaines !
- Ré-évaluons nos options !
- Ré-évaluons nos expérimentations !
- Choisissons de nouvelles expérimentations !
- Y en existe t’il d’autres auxquelles nous n’avions pas pensé jusque là ?
- Ré-évaluons notre problème !
Pourquoi ça marche ?
PopcornFlow permet d’engager les personnes vis à vis de leurs problèmes plutôt que simplement en parler. C’est une autre manière de visualiser et matérialiser des idées / problèmes dans ce cas-ci en les inscrivant sur des Post-it et en les déplaçant sur un tableau. Je l’utilise souvent aujourd’hui comme support d’échanges en ateliers que ce soit avec une équipe technique ou avec des managers et je pense que je l’utiliserais même en coaching individuel si cela permet au client de mieux structurer ses idées.
Une des grandes force de PopcornFlow est qu’il peut être appliqué dans tout domaine dès qu’il y a une volonté d’apprendre et de s’améliorer. En effet, il emmène l’idée que l’on peut évoluer et aider les autres à le faire, dans un monde aujourd’hui en perpétuel mouvement.
Ce qui est passionnant dans l’introduction des options dans notre façon de faire et de voir les choses, c’est que la question n’est plus de faire ou de ne pas faire quelque chose mais plutôt de choisir l’option qui nous paraît la meilleure !
Ce n’est pas ce que l’on fait mais plutôt ce que l’on apprend en le faisant qui importe. Mais alors…
Ce n’est pas ce que l’on apprend, mais plutôt ce que l’on fait avec ce que l’on apprend qui importe.
– Claudio Perrone
A voir aussi
- Le site dédié à PopcornFlow
- La keynote effectuée au Lean Kanban France 2015
- Un excellent article sur le blog de SOAT