#10 Inclusion, Surdité, Accessibilité dans la tech avec Emmanuelle Aboaf

Description

Dans cet épisode émouvant de Change and Chill, Olivier My s’entretient avec Emmanuelle Aboaf, développeuse informatique et militante pour l’accessibilité.

Emmanuelle, sourde de naissance, partage son parcours inspirant à travers les défis et les victoires de travailler dans la tech. Elle discute des adaptations nécessaires pour les sourds dans le monde professionnel, de l’importance de la transcription pour l’accessibilité et de son engagement à sensibiliser sur les maladies peu connues comme le CMV.

Écoutez pour découvrir comment Emmanuelle transforme les obstacles en opportunités, en motivant d’autres à suivre son exemple dans la tech et au-delà.

Pour contacter Emmanuelle : https://www.linkedin.com/in/emmanuelle-aboaf/

N’hésitez pas à laisser un message sur le répondeur du podcast : https://www.vodio.fr/repondeur/1273/

Séquençage du podcast

0:00:05 – Introduction et accueil de l’invitée

0:02:00 – Histoire personnelle d’Emmanuelle sur sa surdité

0:05:30 – Parcours éducatif et professionnel

0:09:30 – Difficultés dans les premières expériences de travail

0:14:00 – Évolution et adaptations au travail

0:18:00 – Importance de l’accessibilité pour les sourds

0:23:00 – Différence entre LPC et langue des signes

0:34:00 – Sensibilisation à l’inclusion et mentorat

0:43:00 – Expériences de conférences et Paris Web

0:53:00 – Programme d’éloquence pour personnes handicapées

0:59:00 – Impact de l’IA sur l’accessibilité

Idées Clés

L’importance de l’accessibilité

Emmanuelle Aboaf souligne l’importance des transcriptions pour rendre les podcasts accessibles aux personnes sourdes et malentendantes. Elle partage son expérience personnelle et professionnelle pour illustrer comment l’accessibilité peut transformer la vie des personnes ayant des handicaps.

Comprendre le cytomégalovirus (CMV)

Emmanuelle parle de sa surdité causée par le cytomégalovirus (CMV), une maladie peu connue mais qui a des impacts significatifs. Elle insiste sur la nécessité d’une meilleure sensibilisation et prévention autour de cette maladie, qui peut avoir des conséquences graves sur les nouveau-nés.

La technologie comme vecteur d’inclusion

Emmanuelle raconte comment la technologie, notamment l’informatique et les outils numériques, a joué un rôle crucial dans son intégration professionnelle et sociale. Elle encourage l’usage des outils numériques pour améliorer l’accessibilité et l’inclusion des personnes handicapées.

Le parcours inspirant d’une développeuse

Emmanuelle partage son parcours professionnel, de ses débuts dans l’informatique à son rôle actuel. Elle met en lumière les défis qu’elle a rencontrés en tant que femme sourde dans le secteur de la tech, ainsi que le soutien et les opportunités qui l’ont aidée à réussir.

L’éloquence et la confiance en soi

Grâce à un programme d’éloquence, Emmanuelle a appris à apprivoiser sa voix et à gagner en confiance. Elle souligne l’importance de donner une voix aux personnes handicapées et de les encourager à s’exprimer publiquement.

L’importance du mentorat et des modèles de rôle

Emmanuelle insiste sur l’impact positif que peuvent avoir les modèles de rôle et le mentorat, surtout pour les jeunes générations. Elle partage son engagement à soutenir les autres et à promouvoir l’inclusion dans le monde professionnel.

Mots-clés

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Olivier My: Bienvenue sur Change and Chill, le podcast où l’on parle de changement, simplement. Je suis Olivier My et avec mes invité.e.s, nous explorons comment le changement peut être une force positive dans nos vies. Des histoires inspirantes avec une touche de légèreté. Dans ce nouvel épisode, j’ai le plaisir d’accueillir Emmanuelle Aboaf. Salut Emmanuelle, Comment ça va?

 

Emmanuelle Aboaf: Bonjour Olivier. Ça va très bien. Je te remercie. C’est un plaisir d’être là. Merci de m’avoir invitée.

 

Olivier My: C’est un plaisir vraiment partagé. Tu es là, à la maison, tranquille pour finir la semaine.

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, je suis très contente d’être en Week-End.

 

Olivier My: Contente d’être en Week-End. Oui je comprends. Tiens, Aboaf, ça vient d’où ?

 

Emmanuelle Aboaf: Bah c’est un nom espagnol.

 

Olivier My: Ah, c’est espagnol !

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, c’est espagnol, ça vient d’Espagne. Et puis après on est allé un peu partout dans la Méditerranée, notamment vers la Turquie et après vers la France.

 

Olivier My: D’accord, c’est dans ces coins là.

 

Emmanuelle Aboaf: Voilà, c’est dans ces eaux là.

 

Olivier My: C’est marrant, je me posais la question parce que tout à l’heure, je t’ai demandé comment ça se prononçait et effectivement, je me suis dit tiens, ça vient d’où ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, ce sont des origines espagnoles.

 

Olivier My: Donc c’est dans le coin. Ok, super. Alors je suis très content de t’avoir parce que il s’avère qu’on se connaît depuis un certain temps. En tout cas, on s’est côtoyé parce qu’on travaillait dans la même boîte fusse un temps où on n’a pas eu trop l’occasion d’interagir et lorsque j’ai annoncé que j’allais lancer mon podcast, tu as gentiment envoyé un message pour savoir si j’allais faire de la transcription pour les sourds et les malentendants c’est ça ? Et justement, c’est un vrai sujet, parce que lorsque je me suis formé moi-même, on m’a dit ben voilà, il faudrait que tu fasses des transcriptions pour ça, pour rendre accessible le podcast, pour l’ensemble des personnes. Et j’ai trouvé intéressant de t’inviter pour mieux comprendre ce que ça change pour les personnes qui sont sourdes et malentendantes, le fait d’avoir accès à ces éléments, ces transcriptions et donc je pense que tu es la meilleure personne pour m’expliquer tout ça. Mais avant tout ça, est ce que tu peux te présenter s’il te plaît ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, je peux tout à fait me présenter. Donc je suis sourde de naissance suite à une maladie qui s’appelle le Cytomégalovirus qui est une maladie qu’on attrape pendant la grossesse. Et du coup, à ma naissance donc, j’ai eu cette maladie et on a détecté ma surdité vers l’âge de 18 mois.

 

Olivier My: Ah très tôt alors quand même.

 

Emmanuelle Aboaf: Ben oui, en fait le cmv c’est une maladie neuro-sensorielle qui peut toucher la vue, l’ouïe ou le cerveau. On peut dire que j’ai quand même de la chance parce que le cmv je l’ai attrapé en fin de grossesse, mais si on l’attrape en début de grossesse, ça peut être plus grave.

 

Olivier My: D’accord.

 

Emmanuelle Aboaf: Et j’en parle parce que c’est vraiment important. Le CMV, c’est une chose qui s’attrape facilement par la salive des enfants. Et souvent les mamans qui sont enceintes ne sont pas forcément au courant. Il n’y a pas suffisamment de sensibilisation autour du CMV, même 30 ans après. Alors que c’est quelque chose qui devrait être connu et il n’y a pas encore de vaccin à l’ordre du jour.

 

Olivier My: D’accord.

 

Emmanuelle Aboaf: Donc voilà, c’est un sujet dont je parle ouvertement, sans tabou.

 

Olivier My: C’est important et merci de partager tout ça. Donc de ce que tu dis, c’est une maladie qui aujourd’hui n’a pas de traitement à part entière.

 

Emmanuelle Aboaf: Non, non, non. C’est une maladie qui touche beaucoup de bébés et de fœtus et donc les conséquences qui vont avec sont plus ou moins graves selon le moment où on l’a attrapée. Et c’est vrai que c’est pas évident pour les familles, pour la personne qui a eu le CMV de vivre avec cette maladie. J’ai eu beaucoup de chance on va dire, parce que ça a touché que mon audition et un peu ma vue.

 

Olivier My: Un petit peu la vue aussi alors.

 

Emmanuelle Aboaf: Oui j’ai eu un strabisme qui a été corrigé par une, deux opérations que j’ai fait il y a quelques années et là j’ai la cataracte précoce suite à la CMV. 30 ans après, ça continue à me suivre.

 

Olivier My: Oui, je comprends.

 

Emmanuelle Aboaf: Donc ça touche quand même plus à court ou moyen terme. Et voilà, j’ai bon espoir qu’un jour on trouvera un traitement pour guérir cette maladie. Mais on n’en est pas là aujourd’hui donc si on peut faire de la prévention.

 

Olivier My: C’est déjà ça.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est important.

 

Olivier My: D’accord. Super! Merci pour ce démarrage. Au moins, ça pose les choses. Est-ce que tu peux nous dire également un peu plus sur ce que tu fais aujourd’hui ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, je suis développeuse depuis 2012, donc ça fait douze ans.

 

Olivier My: Ça nous rajeunit pas tout ça.

 

Emmanuelle Aboaf: Voilà, ça passe très très vite. J’ai pas vu les années passer. J’ai fait un parcours tout à fait normal dans une scolarité normale, avec des aides de l’État, de l’Institut national des jeunes sourds pour pouvoir suivre les cours comme tout le monde, mais avec des personnes qui étaient là pour m’aider à suivre. Et ensuite, ben je ne suis pas née dans l’informatique comme beaucoup de jeunes aujourd’hui. J’ai ouvert mon premier ordinateur, j’étais ado, je devais avoir dix douze ans. Voilà, c’était la première fois que j’ai découvert un ordinateur et avant ça, je voyais ma sœur qui passait tout son temps au téléphone à discuter avec ses copines et moi je ne pouvais pas faire la même chose qu’elle et forcément, ça me frustrait un peu. J’étais obligée de passer par ma mère pour qu’elle puisse téléphoner à mes copines parce que je voulais les voir, etc. Et ce n’était pas.

 

Olivier My: C’est une grande sœur ou une petite sœur ?

 

Emmanuelle Aboaf: Une grande sœur.

 

Olivier My: Une grande sœur.

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, une sœur aînée de deux ans de plus que moi.

 

Olivier My: Et elle, elle n’a pas eu la maladie.

 

Emmanuelle Aboaf: Non, je suis la seule sourde de la famille parce que j’ai eu le CMV. Voilà, c’est une maladie qui m’a rendue sourde, donc c’était quelque chose que personne ne connaissait la surdité. Tout le monde a appris ça sur le tas. Et quand j’ai eu pour la première fois un ordinateur que mon père a acheté, ça m’a fait découvrir MSN qui m’a permis de discuter, tchater avec mes copines pendant des heures.

 

Olivier My: Ah, ça y est !

 

Emmanuelle Aboaf: Et c’est là où j’ai eu une révélation je veux travailler dans l’informatique. Et à la suite de ça, j’ai eu un parcours d’études axé sur l’informatique en faisant un lycée, un bac tertiaire, un bac STT informatique de gestion suivi d’un BTS informatique de gestion et puis trois ans en école d’ingénieur, là où j’ai rencontré en troisième année, qui est ma première année d’école d’ingénieur, qui est en fait ma troisième année d’études, rencontré les dirigeants de CLT Services qui s’appelait avant d’être GOOOD.

 

Olivier My: Oui, effectivement, il y a eu beaucoup d’étapes.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est ça et du coup j’ai fait mon stage là-bas et après j’étais partie vivre à Bordeaux parce que j’avais eu beaucoup de mal à suivre les cours à Paris. On était trop nombreux et moi je voulais une classe plus petite, je voulais une classe plus petite et ça m’a permis de suivre les cours plus facilement.

 

Olivier My: D’accord, donc en fait CLT Services c’était un stage au départ ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, c’était un stage en alternance. J’allais une fois par semaine chez CLT Services où j’apprenais à coder et je faisais corriger des bugs, mais c’était déjà pas mal.

 

Olivier My: Oui mais c’est intéressant, je savais pas du tout que tu y étais en stage et après tu as été embauchée.

 

Emmanuelle Aboaf: Alors pas tout de suite.

 

Olivier My: Pas tout de suite ok.

 

Emmanuelle Aboaf: Pas tout de suite à la sortie de mon école, j’ai été d’abord embauchée par une grande entreprise. J’étais contente d’avoir tout de suite un cdi après six mois après ma sortie et entre on va dire ma première expérience, ça a été un peu délicat dans le sens où on m’avait embauchée pour mon handicap pour remplir le quota.

 

Olivier My: Le quota ah oui ok, mais ils avaient pas mis les choses en place pour t’accueillir.

 

Emmanuelle Aboaf: Non non non, ils me formaient pas, je codais ce que j’apprenais à l’école mais voilà, je n’avais pas une structure d’accompagnement et une personne qui me suivait. J’avais quelques collègues mais c’est tout. Et puis j’ai fait une mission très très loin de chez moi, ou très à l’écart, dans une boîte industrielle où je ne voyais pas la lumière du jour. Donc c’était assez.

 

Olivier My: C’est incroyable les environnements comme ça.

 

Emmanuelle Aboaf: C’était vraiment un projet intéressant, mais je me sentais complètement déphasée. Complètement confuse parce que mentalement, c’est difficile de ne pas voir la lumière du jour et de travailler dans ce genre de conditions. Et j’ai fait ça six mois et après j’étais en inter-contrat et on me donnait plus rien. On se préoccupait pas de moi et je demandais au chef de projet, mais il était aux abonnés absents. Moi, je ne voulais pas rester à rien faire, ça ne m’intéressait pas. Et entre temps, il y a Damien qui m’a contacté pour avoir des nouvelles et je lui ai dit Je suis dans une boîte où je faisais rien et j’apprenais rien. Et Damien m’a dit Ben viens chez nous.

 

Olivier My: C’est super. C’est une vraie main tendue qui a été faite à ton égard.

 

Emmanuelle Aboaf: Je suis restée six ans là bas. C’était une de mes meilleures années avec Pierre-Lionel et Jérôme qui m’ont beaucoup appris, qui m’ont formée, qui m’ont permise d’être la développeuse que je suis aujourd’hui en partie.

 

Olivier My: Et que l’on salue en passant.

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, on les salue et je m’en souviens très bien d’eux. C’était un plaisir d’avoir travaillé avec eux. J’ai beaucoup appris avec eux et aussi auprès des collègues Damien, Ludovic, plein de gens, c’était vraiment une expérience très riche. Et j’ai eu un crève-coeur quand Goood a décidé de fermer le pôle développement parce que j’étais bien, même si parfois j’étais un peu isolée dans le sens où j’étais la seule fille de l’équipe et aussi la seule personne sourde de l’équipe. Donc c’est pas toujours évident à gérer.

 

Olivier My: Tu as deux critères différenciant.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est ça, c’est ça. Et n’empêche, c’était quand même une très très bonne expérience. Et Damien, justement, il m’a aidé à trouver mon nouvel emploi. Il a fait appel à son réseau et il m’a présenté son ami Damien.

 

Olivier My: Comme quoi les Damien se connaissent.

 

Emmanuelle Aboaf: Voilà et j’ai atterri chez Dcube et je suis restée quatre ans et là où j’ai énormément appris également.

 

Olivier My: Et c’est quoi comme société ?

 

Emmanuelle Aboaf: C’est une ESN, une petite ESN. J’ai fais que des ESN. C’est vraiment là où je me sens bien parce que je préfère travailler en petite équipe avec des collègues proches parce que les grandes entreprises, ce qui est délicat ce sont les hiérarchies, les groupes. Il y a beaucoup de monde, tu connais pas forcément tout le monde. Voilà. Et moi je voulais garder cette proximité et ça ne me dérange pas de faire des missions pour les grands groupes. Néanmoins, je garde des relations avec mes collègues dans la boîte.

 

Olivier My: Oui, je comprends. Et ce que je trouve intéressant dans ce que tu disais tout à l’heure, c’était les dispositions que les entreprises mettent à ton service. Ça veut dire que tu disais la première boîte qui t’avait embauchée pour le quota. Donc ils t’ont embauchée ils étaient contents, ils avaient coché une case, mais ils ne s’étaient pas occupés de toi. Et en plus, tu étais dans une cave où il n’y avait pas de lumière. C’est ça que je me rappelle. Mais justement, chez Goood par exemple, en tout cas chez CLT Services à l’époque, qu’est ce qui a été mis en place, qui a fait que justement tu as senti que pour toi c’était différent ?

 

Emmanuelle Aboaf: Déjà parce que je connaissais les managers, j’avais fait mon stage chez eux, donc je connaissais. Ils étaient tous bienveillants, gentils, ils me formaient, je savais que j’allais apprendre mon métier et je n’ai pas été déçue. J’ai vraiment appris mon métier, appris la qualité du code, appris l’importance du fonctionnel. J’ai fait des missions, vraiment auxquelles j’ai réussi mais aussi des missions où c’était difficile. Mais ça a façonné mon expérience. Et le fait d’avoir appris aussi auprès des seniors ont pu le fait que j’ai beaucoup appris et c’est vrai qu’au début, ça n’a pas été évident dans le sens où j’avais beaucoup de mal à suivre les réunions. Oui, parce que lire sur les lèvres, je sais lire sur les lèvres, mais lire sur les lèvres pendant des heures où tout le monde parle parfois en même temps, très vite. Donc faire des efforts, ça demande beaucoup d’énergie.

 

Olivier My: Il faut réussir à suivre avec les yeux tous les gens en plus en même temps ?

 

Emmanuelle Aboaf: C’est ça.

 

Olivier My: Et donc effectivement, c’est super important ce que tu dis, parce que c’est vrai qu’on ne s’en rend pas compte quand on n’a pas le handicap en lui même. Donc toi, avec ce handicap là, ce qui était important déjà c’est quoi ? C’est qu’on parle doucement ? La vitesse, ça a une importance ou pas ?

 

Emmanuelle Aboaf: La vitesse a son importance parce que si on parle très vite, j’ai pas le temps de lire sur les lèvres,

 

Olivier My: Ah oui forcément.

 

Emmanuelle Aboaf: Et quand on connait pas les gens, on doit s’adapter, apprendre à apprivoiser la voix de la personne, le débit de la personne. Connaître le contour des lèvres, sa façon de parler. Donc voilà, c’est une charge mentale qui fait que pour essayer de suivre la personne et s’adapter. Et c’est vrai qu’au début j’étais jeune junior, je ne disais rien parce que j’avais peur d’être jugée. On me disait voilà, fais des efforts, on en fait pour toi, voilà. Et du coup, c’est vrai que comme j’étais jeune, je connaissais pas mes droits au niveau en tant que travailleuse handicapée donc je prenais beaucoup sur moi et au bout d’un moment, j’avais demandé de l’aide de quelqu’un pour m’aider à suivre les réunions. Et la première réaction de mes managers c’était Mais pourquoi ? Tu arrives très bien à suivre, tu comprends. Tu suis très bien. Voilà.

 

Olivier My: C’est marrant de voir la réaction des gens par rapport à ce que tu faisais et je pense que c’est qu’on ne se rend pas compte de l’effort que ça te nécessitait. Puis toi, à l’époque, tu voulais faire belle impression, tu disais rien, mais ça se trouve, c’était extrêmement difficile pour toi pour suivre tout ça quoi.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est ça, C’est ça. Et au bout d’un moment, j’ai été de plus en plus fatiguée et je me disais qu’il fallait que je réagisse un peu. Et ils ont pas voulu au début répondre à ma demande. Jusqu’au jour où il y a eu un séminaire de deux jours et je dis Ben deux jours pour lire sur les lèvres.

 

Olivier My: Combien de personnes ?

 

Emmanuelle Aboaf: Et surtout combien de personnes, je dis Ouh là, ça va être compliqué donc je demande. Je leur ai posé un petit peu un ultimatum. Désolé Damien. Et Damien a été compréhensif. Il a dit Ok, on va faire venir quelqu’un. Et là, il me dit Mais qui es-tu Emmanuelle ? Tu participes, tu poses des questions pertinentes, tu comprends tout, tu interagis, tu es vivante, tu es. Voilà. Je dis ben oui !

 

Olivier My: En fait aussi je peux l’être.

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, je peux l’être. Si y’a quelqu’un qui m’aides à suivre les réunions. Alors en l’occurrence, c’était une interprète, non pas en langue des signes, mais en langue parlée complétée. La LPC est un autre moyen de communication utilisé pour les personnes sourdes et malentendantes, qui est un accompagnement à la lecture labiale. Parce-qu’il y a des mouvements des lèvres qui sont identiques et on fait une suppléance mentale pour déchiffrer si c’est le M, le B ou le P. Par exemple, quand je dis paba, maman, maman, on entend trois sont différentes, mais la lecture labiale est identique.

 

Olivier My: Oui, effectivement c’est assez similaire.

 

Emmanuelle Aboaf: Et donc la LPC va permettre de faire la différence. Et c’est ce qu’on appelle une codeuse LPC.

 

Olivier My: Voilà, donc c’était cette personne donc que moi j’ai du croiser effectivement dans le passé. Et c’est marrant parce que moi à l’époque j’ai pas dû faire trop gaffe. On se côtoyait pas tant que ça nous dans nos domaines respectifs. Mais c’est fou de voir la différence que ça a eu pour toi. Le fait qu’il y ait une personne en plus qui finalement peut-être avec ce petit temps de retard parce que le temps qu’elle te retransmette, la chose t’a permis à toi de pouvoir te révéler aux yeux des autres.

 

Emmanuelle Aboaf: Oui.

 

Olivier My: Et justement, qu’est ce qui a fait que tu t’es dit juste avant tu vois, te dire là, c’est plus possible, il faut qu’il y ait quelqu’un avec moi ou il faut qu’il y ait quelque chose. Tu vois, je sais pas si tu avais tout de suite une idée de quelqu’un qui devait être là ou s’il y avait des systèmes qui existaient pour t’y aider, je ne me rends pas compte.

 

Emmanuelle Aboaf: Moi j’avais toujours eu quelqu’un pendant mes études et ça me semblait normal que ça continue pendant ma vie professionnelle. Mais sauf que je ne savais pas comment ça se mettait en place parce que ce qu’on met en place à l’école est totalement différent de la vie professionnelle en entreprise et je ne connaissais pas du tout mes droits. Je ne connaissais pas l’agefip même si j’avais la RQTH, j’avais aucune information qui me permettait de savoir comment mettre tout ça en place et j’avais mes parents qui me disaient mais tu sais, tu as le droit de demander. Et moi je n’osais pas parce que je débutais ma carrière. Je ne voulais pas être un poids, je ne voulais pas déranger. Mais un jour, j’ai osé demander parce que ça se ressentait un peu sur mon travail.

 

Olivier My: Ça se ressentait comment ?

 

Emmanuelle Aboaf: Je faisais beaucoup répéter, je ratais beaucoup d’informations et mes collègues me regardaient, me disaient Mais on l’a déjà dit, on en avait parlé tu te souviens ? Donc forcément dans la communication, ça se sentait. Ça énervait un peu tout le monde de se faire répéter et même s’ils comprenaient que je ne pouvais pas tout comprendre. Donc voilà, c’est ça cette situation impactait tout le monde.

 

Olivier My: Mais c’est vrai qu’il y a eu une difficulté de manière générale et j’en fais partie aussi de se mettre dans les chaussures des autres lorsqu’on ne le vit pas. Ça veut dire que si on le rappelle pas de manière récurrente, on peut facilement oublier. Surtout parce que tu as eu l’habitude et la capacité de le faire à te fondre dans le paysage pour éviter d’imposer la surdité que tu as aux autres. Mais du coup c’est pareil là, moi je te parle, tu m’aurais pas dit voilà, je suis atteinte de surdité, je me dis bah elle me comprend en fait, elle m’entend. Est ce que j’ai un effort à faire ou pas ? Je ne me rends pas compte, tu vois. Et c’est la difficulté. Et je trouve que le courage que tu as eu, c’est ça. C’est déjà de demander quelque chose pour toi. Et il s’avère que tu étais entourée de gens qui étaient prêts à le faire. Même si tu l’as dit au début, ils ont pas voulu.

 

Emmanuelle Aboaf: Oui ils ont pas compris l’impact, ils avaient besoin et quand ils ont vu pendant un séminaire la différence et que cette personne qui était là en a profité pour sensibiliser mes collègues, mes managers. Aurélie leur avait expliqué tout ce que j’avais déjà expliqué moi-même. Mais des fois, entendre d’une personne extérieure, ça fait pas mal bouger les choses, ça fait aussi remettre les choses en perspective. Et surtout, ils ont vu mon comportement ce jour-là, le fait que j’étais totalement différente, je participais davantage et à la fin, ils sont venus me voir. Bah écoute si tu as besoin de quelqu’un, tu la fais venir, il n’y a pas de souci.

 

Olivier My: Non mais c’est super ! Il y a deux points qui me paraissent importants dans ce que tu dis. La première chose, c’est il y a le séminaire qui est arrivé. Au départ, ils n’étaient pas tellement pour parce que en fait, ils ne comprenaient pas. Ce n’était pas qu’ils ne voulaient pas, c’est qu’ils ne comprenaient pas de ce que j’entends, mais ça veut dire qu’ils ont quand même accepté d’investir pendant le séminaire pour voir.

 

Emmanuelle Aboaf: On peut dire je ne leur ai pas donné le choix.

 

Olivier My: Ah oui. Oui, c’est vrai, il y avait l’ultimatum. J’avais oublié.

 

Emmanuelle Aboaf: L’ultimatum parce-qu’ils ont dit que le séminaire était obligatoire pour tout le monde. Et j’ai un petit peu, on va dire, menacé de ne pas venir si on ne faisait pas venir la codeuse LPC parce-que deux jours, c’était beaucoup pour moi.

 

Olivier My: Bah oui, déjà, non seulement deux jours avec le nombre de personnes qu’il y a, ça devait être une trentaine de personnes, une quarantaine de personnes je pense quelque chose comme ça, avec un ensemble d’interactions qui est quand même récurrent. C’est à dire tu es tout le temps avec les gens, avec potentiellement des activités, avec des choses où il faut discuter avec les gens de manière sérieuse. Moi qui me souviens des séminaires un petit peu, c’est vrai que c’est pas évident, même pour les gens qui n’ont pas le handicap, des fois c’est fatigant. Alors j’imagine que pour toi ne serait-ce que de l’imaginer, c’était déjà fatigant.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est tout à fait ça. Surtout qu’il n’y avait pas encore l’intelligence artificielle à l’époque, donc les moyens étaient vraiment limités. Et bien que je suis bonne en lecture labiale. Bien que j’entends bien grâce à mes implants cochléaires mine de rien, ça demande quand même beaucoup d’efforts et beaucoup d’énergie à suivre les réunions, comprendre les collègues et surtout en interaction les repas c’est très bruyant, c’est fatiguant, donc quand j’ai quelqu’un ça me permet d’économiser mon énergie pour d’autres choses.

 

Olivier My: C’est super parce que ça, c’était le premier point que j’avais en tête et le deuxième, c’est la différence que ça a déclenché pour toi, pour être un peu plus présente avec tes collègues. Est ce que tu as un souvenir de ce que les gens ont pu te dire au delà de Ah, tu es vivante, etc. Un souvenir de ce que ça a changé pour eux, le fait qu’il y ait cette personne et de te voir différemment ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, le jour où j’avais donné des remarques pertinentes.

 

Olivier My: Parce que tu ne le faisais pas avant ?

 

Emmanuelle Aboaf: Faut croire ! Je ne sais pas. Mais ce jour là, au séminaire, ça m’a marqué parce que je n’arrêtais pas de poser des questions. Chose que je ne faisais pas. Je posais des questions avant, mais c’était souvent après les réunions, parce que pendant les réunions, je prenais le temps de digérer l’information, de traiter l’information, de prendre des notes en même temps. Il n’y avait pas les comptes-rendus à l’époque et donc il fallait gérer beaucoup. Et c’est vrai que là, le fait de pouvoir interagir en temps réel, ça m’a permis de me rendre compte que je n’avais plus de train de retard par rapport aux autres. Je me sentais enfin moi-même. Et ce jour là, j’ai compris que je pouvais tout à fait participer à la vie de l’entreprise, proposer des idées. Parce-que j’aimais beaucoup la boîte. C’était une belle boîte avec des collègues bienveillants, très sympathiques. Ils faisaient tout pour que je me sente bien et qu’on se sente bien les uns et les autres. Tu as de belles valeurs humaines.

 

Olivier My: Une question qui me traverse l’esprit. En vrai, j’en ai deux, mais du coup, la deuxième, je la garde un petit peu pour après. C’est du vrai direct ? Ça veut dire qu’il y a quelqu’un qui parle. Donc la personne qui t’aide, elle te le retransmet d’une certaine manière, c’est à dire qu’elle arrive quand même à te retransmettre quelque chose, à dire à une temporalité qui est suffisamment proche pour que tu puisses réussir à poser une question et que dans le discours ce soit encore dans la thématique, etc. Quoi ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, oui. Il y a un décalage d’une ou deux secondes, c’est quasiment en temps réel. L’interprétariat en LPC, c’est vraiment quelque chose qui permet de restituer l’information en temps réel. Et donc elle le fait sans la voix, avec du code LPC. Et moi j’ai l’information en direct et je peux interagir tout à fait normalement comme tout le monde. Donc une deux secondes, ça va très vite.

 

Olivier My: C’est incroyable comme compétence.

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, c’est un vrai métier à part. Le code LPC est un moyen de communication qui existe depuis les années 80. Ce n’est pas très connu, mais pourtant il est vraiment très utile parce que ça permet d’avoir directement la langue française, contrairement à la langue des signes qui est vraiment une langue à part entière. Oui, la langue des signes, on peut accéder en français, mais autrement.

 

Olivier My: Je ne connais pas du tout.

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, la langue des signes qui n’est pas un langage. On ne dit pas langage des signes et en passant on dit une langue des signes parce que c’est vraiment une langue à part entière, avec sa propre syntaxe, sa propre construction de la langue et son propre vocabulaire, sa propre conjugaison. Donc vraiment, il faut des années pour apprivoiser la langue des signes, tandis que le code LPC, ça, on l’apprend en une semaine. Et puis il faut quelques semaines pour s’habituer, pour avoir la fluidité.

 

Olivier My: Ah oui, c’est très rapide.

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, c’est très très rapide.

 

Olivier My: Et c’est quelque chose que toi tu as appris en étant plus jeune, c’est ça ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, quand j’étais enfant et j’ai appris ça, je devais avoir cinq six ans et parce-que mes parents, ils voulaient que je sois élevée dans le réalisme pour pouvoir communiquer avec les personnes entendantes de manière normale.

 

Olivier My: Pour t’insérer aussi de manière plus facile.

 

Emmanuelle Aboaf: Le problème est que quand on est une personne sourde, c’est qu’on n’a pas accès au langage directement parce qu’on est sourd ou sourde, on n’entend pas forcément. Et du coup, le langage ne se fait pas par le son.

 

Olivier My: C’est vrai qu’on dit souvent que la langue maternelle, elle se développe parce que les enfants, ils entendent, ils reproduisent les sons et grosso modo, c’est comme ça qu’ils apprennent la langue. Mais du coup, toi tu entendais un petit peu, mais pas tout, c’est ça ?

 

Emmanuelle Aboaf: Alors il existe plusieurs degrés de surdité et je ne vais pas tout décrire. Mais moi, quand je suis née sourde, j’avais une surdité qu’on appelle une surdité sévère qui veut dire que sans appareil j’entendais un petit peu. Sans appareil classique. Et à l’âge de huit ans, ma surdité a de nouveau chuté brutalement d’un seul coup du jour au lendemain, je n’entendais plus rien avec mes appareils classiques. Et donc autant te dire que l’acquisition du langage n’a pas été facile parce que, on sait bien que quand on est jeune enfant, l’acquisition du langage se fait pendant toute la maternelle primaire avant d’entrer au collège lycée. Donc c’est dans ce contexte là, ça n’a pas été évident. Et avoir appris le code LPC à l’âge de cinq ans m’a permis quand même de pouvoir communiquer avec mes parents qui connaissaient ce code. Mais à l’école, c’était une autre affaire. Et puis à huit ans et demi, on avait pris la décision que je me fasse implanter, donc d’avoir un implant cochléaire qui remplace ces appareils classiques. En fait, un de mes nerfs auditifs est kaputt, ne fonctionne pas. Le seul moyen c’est de mettre des électrodes qui vont jusqu’à la cochlée pour stimuler le son. Les électrodes vibrent au sein jusqu’à la cochlée et les vibrations se transforment en fréquence Hz. Et pour ça, il faut subir une opération.

 

Olivier My: Oui, c’est plus lourd que juste avoir un appareil.

 

Emmanuelle Aboaf: Voilà. Et en fait, j’aime bien dire que j’entends un peu par la tête le son. Il passe pas par les conduits auditifs, mais il passe par un aimant. Donc j’ai une prothèse externe qui est reliée et aimantée à mon aimant interne et ces électrodes là sont programmables par l’audioprothésiste. Et donc chaque année je me fais régler par l’audioprothésiste pour m’assurer que j’entends toujours aussi bien.

 

Olivier My: Donc oui, avec le tournevis là il règle.

 

Emmanuelle Aboaf: J’aime bien dire que je suis un peu bionique avec ces implants. Maintenant, j’en ai deux.

 

Olivier My: En plus, deux fois plus bioniques.

 

Emmanuelle Aboaf: Voilà.

 

Olivier My: Super! La deuxième question que j’avais, je te la pose maintenant avant qu’elle s’en aille, c’est ça coûte combien d’avoir une personne qui vient ? Parce que forcément, ça a un coût pour l’entreprise de dire voilà, j’ai quelqu’un qui vient. J’ai une curiosité de me dire Mais en fait, ça coûte combien ? Parce que quand on voit l’impact que ça a pour une personne comme toi dans un séminaire comme ça. Voilà, en gros, c’est la question que j’avais. Est ce que tu as une idée ou pas ?

 

Emmanuelle Aboaf: En fait, en tant que personne qui a la RQTH, mes frais d’aménagement de poste sont pris en charge par l’Agefiph.

 

Olivier My: Ah ok, d’accord en plus.

 

Emmanuelle Aboaf: Donc ça veut dire que l’entreprise n’a rien à payer sous conditions bien évidemment. Donc c’est dans mes droits de demander à l’entreprise de m’aménager mon poste, de faire appel à des interprètes pour pouvoir suivre des réunions, d’installer des logiciels spécifiques et tout ça. Et c’est vrai que c’est un coût pour l’entreprise et ce coût là, en fait il est remboursé par l’agefip.

 

Olivier My: D’accord, mais du coup, c’est quoi le blocage alors ? Je veux dire, le blocage, il est où si en fait, il n’y a pas vraiment de coût pour l’entreprise,

 

Emmanuelle Aboaf: Non, il n’y a pas de coût pour l’entreprise.

 

Olivier My: Donc qu’est ce qui les empêche de le faire ça, c’est juste parce qu’ils n’avaient pas compris, C’est ça au départ ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, ils n’avaient pas compris en fait, comme je te l’ai dit, je ne connaissais pas du tout mes droits et l’entreprise non plus ne connaissait pas les droits parce qu’ils n’avaient jamais embauché de personnes handicapées jusqu’à moi. Et même aujourd’hui, accéder à ces informations, c’est pas évident parce que c’est un peu dispersé et quand on arrive sur le marché du travail en tant que jeune junior on n’est pas informé de nos droits et c’est ça qui manque. Et si j’avais su, j’aurais pu dire à l’entreprise mais vous n’avez rien à débourser. Et c’est ça qui m’a fait hésiter parce que je ne voulais pas qu’ils prennent en charge en plus de mon handicap parce-que je savais que ça allait coûter un peu cher et je ne voulais pas que ça ait un impact sur leur trésorerie.

 

Olivier My: Et c’est tout à ton honneur, C’est tout à ton honneur en tout cas. C’est vrai que ce que je trouve fou, c’est que non seulement ça ne coûte pas à l’entreprise, soit tant mieux, mais en fait c’est qu’on le sait pas. C’est à dire que toi même qui est dans la situation, déjà tu n’avais pas forcément l’information. Alors forcément, des gens qui sont pas dans ton monde, ben c’est impossible d’avoir l’information s’ils n’ont pas cette volonté d’aller chercher l’information quelque part quoi. Et donc ça veut dire qu’aujourd’hui encore, je suppose, ce sont des informations que les gens n’ont pas. Et donc il y a plein de gens qui sont dans la situation d’une surdité à différents niveaux, qui peut-être comme toi au début, bah font avec pour rester on va dire en inclusion avec les autres, mais qui peuvent souffrir énormément sans savoir que ça existe.

 

Emmanuelle Aboaf: On nous dit souvent oui il faut passer par la MDPH pour avoir la RQTH, ça va vous aider mais derrière, on ne sait pas à quoi ça va réellement servir la RQTH et à quel droit on peut prétendre avec ce papier. Moi tout ce que je savais c’est qu’avec la RQTH, mon handicap serait pris en compte, mais je ne savais pas comment. Et puis, à l’époque, il n’y avait pas encore les réseaux sociaux comme on connaît aujourd’hui. Les sites n’étaient pas forcément aussi à la pointe comme aujourd’hui. Aujourd’hui, l’information, elle est là. Mais il y a encore beaucoup de personnes qui n’osent pas franchir le pas par peur d’être jugées, par méconnaissance ou par peur de discrimination. Parce que malheureusement, en 2024, il y a des situations de discrimination pour les personnes handicapées et beaucoup ne veulent pas mettre leur handicap en avant parce que ce n’est pas, on n’est pas seulement notre handicap. Il ne faut pas qu’on soit embauché que pour notre handicap parce-qu’on a aussi des compétences.

 

Olivier My: Pas comme l’autre boîte qui voulait juste remplir ses quotas.

 

Emmanuelle Aboaf: Et je connais pas mal de personnes handicapées qui justement se retrouvent au placard et sans perspectives d’évolution. Alors elles vont voir leurs collègues évoluer et quand elles demandent des subventions pour financer les formations mais avec l’accessibilité, beaucoup d’entreprises leur disent mais on n’a pas d’argent, on n’a pas de budget, on a tout mis dans vos aménagements de poste, etc. Il y a plein de raisons qui font que ça dépend des entreprises. En fait, l’argent, c’est le nerf de la guerre.

 

Olivier My: Oui, malheureusement un peu partout et encore, en France, on a beaucoup d’aides. C’est juste qu’on ne le sait pas.

 

Emmanuelle Aboaf: On ne le sait pas.

 

Olivier My: Oui.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est ça. Et c’est pour ça que j’essaye de sensibiliser à mon niveau les personnes pour éviter de reproduire le même parcours que j’ai mais pour leur expliquer qu’il ne faut pas avoir peur de demander, il ne faut pas hésiter à solliciter de l’aide auprès des instances. Que les médecins du travail peuvent vous aider à mettre en place et ce n’est pas évident parce qu’il y a même des médecins qui ne sont pas forcément sensibilisés handicap.

 

Olivier My: Donc des médecins qui ne sont pas sensibilisés ?

 

Emmanuelle Aboaf: Il y a des DRH qui ne sont pas sensibilisés non plus handicap parce-que dans leur formation DRH il n’y a pas de cours sur la politique du handicap et à chaque fois dans chaque boîte où j’étais, même ma nouvelle boîte shodo, ils ont appris sur le tas parce que les DRH avec qui j’ai travaillé chez Dcube, chez Goood et aujourd’hui chez Shodo, ils ne savaient pas quelles démarches il fallait faire, comment faire parce qu’ils n’ont pas appris pendant leur formation. Et ça, c’est très surprenant parce que ça rentre quand même dans le cadre de la politique d’inclusion, de leur métier de DRH. On parle beaucoup d’accueillir tout le monde. Mais si on n’enseigne pas, comment on peut mettre en place ces choses ?

 

Olivier My: C’est exactement ce que tu dis, c’est que c’est facile de dire aux gens de faire ça, mais si on ne les accompagne pas un petit peu sur OK, mais comment est ce qu’on met en œuvre des choses pour accueillir justement ceux qui n’ont pas le trajet, on va dire habituel des autres, standard si je puis dire, même s’il n’y a pas de parallèle à côté. Mais justement, la question qui me venait à l’esprit, donc j’en ai une autre qui est plutôt encore sur le séminaire, mais je te la poserai après. La question que j’ai maintenant, c’est tu dis que tu voulais sensibiliser les gens qui ont un peu les mêmes problématiques que toi à oser demander etc. Tu le fais comment aujourd’hui ?

 

Emmanuelle Aboaf: Alors aujourd’hui, je le fais à travers des podcasts, à travers mes articles, des conférences que je donne et puis du mentorat. Il y a la nouvelle génération qui arrive sur le marché et c’est important pour moi de montrer qu’il y a des personnes handicapées qui travaillent, qui travaillent notamment dans la tech, dans mon secteur, la tech. Et qu’il y a des moyens qui existent, que c’est possible, de les aider pour qu’ils rencontrent des difficultés comme j’ai eu moi. Parce qu’aujourd’hui, il y a plus de possibilités. Seulement, je n’avais pas de rôle modèle.

 

Olivier My: Oui, effectivement, tu avais personne. Tu as dû t’en sortir seule.

 

Emmanuelle Aboaf: Voilà, avec l’aide des personnes que je connaissais, de mon entourage, de mes proches. J’ai eu la chance quand même d’être bien entourée pour arriver jusqu’ici. Je me sens quand même privilégiée parce-que tout le monde n’a pas forcément la chance d’être accompagnée, d’être entourée. Donc ça fait maintenant deux ans que je fais ce genre d’intervention et franchement, je le fais avec plaisir parce-que c’est important pour moi que les personnes handicapées puissent avoir leur place quel que soit leur secteur d’activité et puisse travailler avec tout le monde en ayant des aménagements de poste. Et c’est vrai qu’on vit des moments difficiles quelque soit le contexte parce-que les budgets, on réduit drastiquement les budgets.

 

Olivier My: Oui, comme tout.

 

Emmanuelle Aboaf: Donc on essaie de faire avec et donc de trouver des astuces, de les accompagner, de donner des conseils. Et vraiment, je milite pour qu’il y ait davantage de personnes handicapées dans la tech et aussi des femmes dans la tech, parce que, à l’heure du numérique, on manque cruellement de ces profils là pour avoir des équipes diversifiées, pour avoir des produits diversifiés, inclusifs, on parle beaucoup d’inclusion. Si on fait des efforts d’inclusion, ça commence par embaucher des personnes concernées pour créer des produits inclusifs.

 

Olivier My: Oui, tout à fait. Sinon, on fait des choses, on dit qu’on est inclusif et puis en fait, derrière la machine, il y a rien d’inclusif, donc difficile d’être cohérent avec ça. Je me posais la question justement parce-que tu disais, le langage, c’est quelque chose qui était difficile pour toi de par ton parcours. Et en fait, quand là on est ensemble à faire des podcasts, lorsque tu fais des conférences, lorsque tu fais toutes ces prises de paroles, en fait c’est le langage que tu utilises pour essayer d’impacter les gens. Qu’est ce qui a déclenché la volonté chez toi de dire Ben en fait, je veux impacter d’autres gens à l’extérieur parce que tu vivais ta vie, tu n’avais pas de modèle particulier, donc dur de t’inspirer de personnes. Qu’est ce qui t’a dit Maintenant voilà, je veux voir plus grand aussi. Moi j’en ai chié entre guillemets et maintenant je veux aussi faire profiter de mon parcours à d’autres.

 

Emmanuelle Aboaf: Un peu par accident on va dire. En fait, j’avais commencé tout petit. J’avais commencé par Paris-web qui était le premier événement tech qui m’était complètement accessible et la première fois que je suis allée à Paris Web, c’était grâce à une amie très proche, Sophie, qui est sourde comme moi et qui m’a dit mais viens à Paris Web, tout est sous-titré, tout est interprété en langue des signes. Viens, tu seras la bienvenue, tu arriveras totalement à suivre. Et j’ai découvert tout un monde numérique qui m’était jusque-là totalement inaccessible. Et de rencontrer des gens, de découvrir des sujets auxquels je pensais pas possible d’accéder. Et j’avais vu c’était au début de ma carrière. C’était en un an après mes débuts.

 

Olivier My: En tout cas ma question c’est sur des exemples de sujets parce que tu disais il y a des sujets, j’avais l’impression que ça ne pouvait pas m’être accessible. Est-ce que tu as des sujets comme ça qui te viennent en tête?

 

Emmanuelle Aboaf: C’est souvent les événements tech qu’on connaît aujourd’hui. Ils n’étaient pas accessibles, sous-titrés. Donc j’en avais vaguement entendu parler, mais je n’y allais pas parce-que il n’y avait pas les moyens pour moi de suivre dans de bonnes conditions parce-que souvent, les conférences sont des environnements très bruyants, des speakers qui parlent très vite. Lire sur les lèvres toute la journée.

 

Olivier My: En plus, c’est très loin des fois donc ok, dans ce sens là.

 

Emmanuelle Aboaf: Dans ce sens là, ça demande beaucoup d’énergie de suivre des conférences. Et donc le fait que Sophie me dise que Paris Web était accessible, ça m’a permis d’accéder à des connaissances auxquelles je ne pensais pas avoir. Et ce jour-là, je voyais Sophie monter sur l’estrade, oser faire un Lightning talk. Je fais mais Sophie, parler devant un public, mais comment elle fait ? Je me souviens, ce jour là, je me dis Mais j’aurais été incapable à sa place. Et Sophie, elle m’a dit un jour Mais si un jour, toi, tu y arriveras.

 

Olivier My: Comme quoi.

 

Emmanuelle Aboaf: Quelques années après j’ai donné mon premier atelier. C’était vraiment un premier, vraiment très restreint. Et puis après, j’ai commencé à donner une petite conférence, toujours à Paris Web.

 

Olivier My: Ça veut dire quoi petite conférence pour toi ?

 

Emmanuelle Aboaf: Dans des petites salles, pas dans des grandes salles. Voilà au moins 30 personnes.

 

Olivier My: 30 personnes c’est bien !

 

Emmanuelle Aboaf: 60, voilà. Et puis Paris Web je me sentais comme à la maison. Tout le monde est bienveillant, tout le monde est à l’écoute parce-que justement, Paris Web est très réputée pour son inclusion, pour l’accessibilité, pour la bienveillance. Tout le monde est le bienvenu. À Paris Web, quelque soit notre milieu, notre secteur d’activité, notre métier, quelque soit notre, j’aime pas le mot étiquette mais n’importe d’où on vient en fait oui.

 

Olivier My: Quand tu évoques le terme accessibilité, parce que bon tu es bien plus spécialiste que moi dans le sujet. Moi j’entends en tout cas a minima, donc, interprète donc soit signe, soit.

 

Emmanuelle Aboaf: En code LPC.

 

Olivier My: Et les sous titres ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, pour moi, pour les personnes sourdes, c’est principalement ça. Mais l’accessibilité ne concerne pas que les personnes sourdes et malentendantes, ça concerne aussi les personnes handicapées. Il faut savoir qu’en France aujourd’hui, 12 millions de personnes sont concernées par le handicap et représentent quand même 15 % de la population française. C’est énorme. Et l’accessibilité, ça peut passer par le marquage au sol Pour les personnes malvoyantes qui viennent avec leur chien guide, leur passer des programmes en braille ou les diriger vers les bons endroits ou les lieux publics pour les personnes en fauteuil roulant. S’assurer que les sites Internet sont accessibles, c’est un terme très, très vaste.

 

Olivier My: C’est beaucoup plus vaste qu’on pourrait le croire.

 

Emmanuelle Aboaf: Voilà c’est très, très vaste. L’accessibilité, c’est de pouvoir faciliter l’accès à un endroit, à un site.

 

Olivier My: À une information.

 

Emmanuelle Aboaf: À une information, sans blocage, sans qu’on fasse d’effort. C’est ça l’accessibilité. Et au final, l’accessibilité concerne tout le monde. Parce que quand on voit un texte, il est trop petit. Les personnes qui ont des lunettes ne vont pas voir le texte correctement, ils ont besoin de s’approcher de la feuille pour mieux lire. Alors il suffit. Il suffisait par exemple de mettre une bonne taille de police et tout le monde le voit.

 

Olivier My: Ou de pouvoir modifier la taille le cas échéant.

 

Emmanuelle Aboaf: Voilà donc l’accessibilité. On pense en priorité pour les personnes handicapées mais au final, ça profite à tout le monde.

 

Olivier My: Oui c’est vrai qu’il y a des choses où on se dit les gens vont se débrouiller. Alors qu’en fait non on peut essayer de réfléchir de manière à leur faciliter la tâche. Et c’est pour ça aujourd’hui qu’il y a vraiment des spécialités à ce sujet qui se développent.

 

Emmanuelle Aboaf: Il y a une spécialité d’expertise en accessibilité numérique. On peut suivre des formations dédiées et avoir une certification pour pouvoir mettre en place des choses autour de l’accessibilité. Et c’est vrai que c’est quelque chose qui n’est pas assez développé alors il y a la loi, il y a la loi du 11 février 2005 qui garantit l’égalité des chances, qui garantit l’accès aux lieux publics, mais aussi aux contenus numériques. Et c’est loin d’être le cas aujourd’hui.

 

Olivier My: Ça fait 20 ans quoi.

 

Emmanuelle Aboaf: L’année prochaine, ça fera 20 ans. Oui.

 

Olivier My: Comme quoi, de toute façon, les choses prennent du temps. De manière générale, et c’est justement en donnant de la voix comme tu le fais que au moins, c’est un pas de plus. En espérant que le chemin se fasse plus vite.

 

Emmanuelle Aboaf: Et grâce à Paris-web, ça m’a vraiment petit à petit confortée que je pouvais donner des conférences. Et puis un jour, il y a une personne qui m’a contactée sur Twitter. À l’époque, ça s’appelait Twitter. Il m’a dit voilà, ce que tu as Twitté c’est super intéressant est-ce que tu voudrais pas venir donner une conférence ?

 

Olivier My: Ça, c’était après que tu aies déjà fait une conférence ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, c’était, j’étais limitée à Paris Web parce-que je me sentais bien et safe. Je n’envisageais pas d’aller plus loin.

 

Olivier My: Oui, c’est intéressant, oui.

 

Emmanuelle Aboaf: Et en 2021, un des orgas de Voxxed days luxembourg qui m’avait contactée me disait mais ce que tu as écris sur le Speech-to-text, tu ne voudrais pas en faire une conférence ? Moi ? Faire une conférence ? à Luxembourg ? Non, non, non, non, non. Et Antoine, Pierre-Antoine, il m’a dit Mais si, tu peux le faire. Ok je vais aller dans un lieu où je connais personne, qui est à Luxembourg de surcroit et je vais m’en sortir. Pierre-antoine Il m’a dit Mais oui, tu vas très bien t’en sortir. Tu as des choses à dire. Vas y. Bon, ok et j’y suis allée. Et là, bah j’ai fait la connaissance de Marcy Erica Charollois, qui est une conférencière très connue dans notre milieu qui parle beaucoup sur l’inclusion dans la tech et l’importance de l’inclusion. Et elle a assisté à ma conférence et elle m’a dit mais ce que tu dis c’est génial, c’est super intéressant, tu devrais postuler à d’autres conférences. Mais où ça ? Elle me dis bah, Mixit, tu peux parler à Lille, Toulouse ou tu peux aller. Et là, j’ai découvert qu’il y avait d’autres conférences. Bien que jusqu’ici je m’étais limitée à Paris Web et Mixit qui était organisée par notre ami commun Grégory Alexandre.

 

Olivier My: Exactement.

 

Emmanuelle Aboaf: Et donc c’était les deux seuls confs que je conaissais et je réalisais pas qu’il y avait d’autres conférences partout en France et Marcy m’a vraiment encouragée à postuler à d’autres conférences. De vraiment sortir de ma zone de confort. Ça n’a pas été évident, mais quand on a de l’encouragement ça fait pousser un peu les ailes.

 

Olivier My: C’est très intéressant et on va dire représentatif du chemin de beaucoup de personnes qui se sont dessinés à partir de certaines conversations qui ont eu lieu. Peut être que même vous, je dis vous, toutes les personnes avec qui j’ai pu discuter sur un changement, des fois on ne le sait pas qu’on a envie de faire ça. Ça ne reste qu’une idée, quelque chose qui est enfoui chez soi. Il y a juste une personne qui croit un peu plus en nous qu’on ne croit en nous-même à un instant T, et ça nous donne la petite impulsion pour pouvoir le faire. En tous cas, c’est ce que j’entends.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est tout à fait ça. C’est tout à fait ça. Je pensais pas devenir conférencière petit à petit et franchement, je prends beaucoup de plaisir à faire partager tout ce que j’ai appris aux personnes qui assistent à mes conférences, que ce soit sur le sujet de l’accessibilité numérique ou en intelligence artificielle au service de l’accessibilité, le handicap en général. Voilà, c’est des sujets qui me tiennent beaucoup à cœur parce que on parle beaucoup d’inclusion, mais concrètement, qu’est-ce qu’on fait pour l’inclusion ? Et donc il faut donner des petites graines pour.

 

Olivier My: Faire germer des choses.

 

Emmanuelle Aboaf: Germer et voir les choses grandir. Et c’est vrai qu’au cours de mes interventions, j’ai eu une ou deux personnes qui sont venues me voir en me disant Mais moi aussi je suis sourde et je ne pensais pas avoir une oratrice sourde sur scène.

 

Olivier My: C’était toi il y a quelques années, c’est ça ?

 

Emmanuelle Aboaf: Ouais.

 

Olivier My: C’est dingue.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est dingue. Et la boucle est bouclée en fait. Voilà, malgré moi, je suis devenue une role-model, chose que je n’ai pas voulu mais je l’accepte parce que je me suis rendue compte de l’importance d’être un role model si on veut prouver qu’on existe. On est là. On n’est pas forcément défini par notre genre ou par notre handicap et on peut tout à fait réussir sa carrière dans de bonnes conditions.

 

Olivier My: Je trouve que c’est super important ce que tu dis, c’est qu’en fait, prendre sa place, donner de la voix, c’est une manière de résonner avec d’autres personnes qui, à ce moment là n’osent pas mais qui vont se reconnaître en toi. Et c’est comme ça qu’on génère un changement chez les gens aussi.

 

Emmanuelle Aboaf: Tout à fait et surtout, il y a le syndrome de l’imposteur qui trotte souvent.

 

Olivier My: Ah celui-là !

 

Emmanuelle Aboaf: Je te cache pas. On l’a tous et toutes.

 

Olivier My: Exactement.

 

Emmanuelle Aboaf: Il y a toujours cette voix intérieure qui te dit tu n’es pas légitime. Et avec beaucoup de recul, et notamment grâce à mes collègues de Goood et Dcube et ensuite Shodo, ça m’a donné beaucoup de confiance en moi de me dire Oui, je suis légitime, j’ai des compétences. Voilà, ça fait douze ans que je suis dans le métier, je suis une jeune senior on va dire.

 

Olivier My: Une jeune senior.

 

Emmanuelle Aboaf: Et si je peux enseigner ce que j’ai appris, c’est avec plaisir. C’est tout. On a toutes et tous notre place dans le secteur, notamment dans la tech parce que c’est vrai que la tech est très majoritairement masculin, masculine, et on manque cruellement de diversité. Et c’est bien connu que j’imagine que Florence t’en a parlé en disant que 35 % des femmes avant 35 ans quittent la tech. Et c’est quand même des chiffres alarmants si on les fuit, comment on peut avoir des équipes diversifiées ? Donc c’est important de collaborer tous ensemble pour s’assurer que tout le monde puisse travailler ensemble.

 

Olivier My: Et créer des produits qui correspondent à tout le monde aussi.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est ça.

 

Olivier My: Il y a une question qui me trotte dans la tête. C’est la toute première conférence que tu as faite. Est ce que tu peux nous raconter les quelques minutes avant de monter sur scène à ta première conférence ?

 

Emmanuelle Aboaf: Je me souviens d’avoir été très stressée ce jour-là.

 

Olivier My: Ça ressemble à quoi quand toi tu es stressée ?

 

Emmanuelle Aboaf: Bah j’avais des palpitations, mal au ventre, j’avais des doutes. Je me disais Est-ce qu’on va me comprendre parce qu’à l’époque il faut savoir que je n’avais pas du tout confiance en ma voix. J’ai un accent, on va dire un accent de surdité et c’est vrai que c’est quelque chose dont je n’ai pas su assumer pendant un bon moment. Je savais que les gens comprenaient, je parlais bien, mais j’avais toujours ce doute et cette voix là je l’ai apprivoisée que tout récemment, depuis que j’ai fait le programme Éloquence pour la différence il y a deux ans.

 

Olivier My: Ça correspond à quoi ça ?

 

Emmanuelle Aboaf: Alors c’est une association Éloquence pour la différence, une association qui permet de donner la voix aux personnes handicapées, d’apprendre l’éloquence, de leur donner la voix, de leur apprendre à apprivoiser leur voix, de leur montrer que même si tu as un handicap, tu peux être éloquent.

 

Olivier My: C’était spécifiquement ce qu’il te fallait.

 

Emmanuelle Aboaf: Ah oui.

 

Emmanuelle Aboaf: Et ce jour là, j’ai appris pendant ce programme pendant six semaines à huit semaines, c’était vraiment intense. J’ai suivi des masterclass sur la voix, sur l’argumentation, sur la position, comment parler en public, etc. qui m’ont fait prendre conscience de plein de choses et surtout concernant la voix, parce que pendant toutes ces années, j’ai fait quand même 20 ans d’orthophonie. On m’a appris à parler, on m’a appris à entendre, mais on ne m’a jamais expliqué comment fonctionnait ma voix, comment la machine, les cordes vocales fonctionnent. Donc je suis passée par des méthodes où à l’époque, c’était il fallait à tout prix apprendre à parler, peu importe comment. Et lors de cette masterclass, j’avais deux orthophonistes qui étaient là, un spécialiste de la voix et qui me dit voilà comment les cordes vocales fonctionnent. Et ils ont fait un schéma pour dire voilà le son, il passe par là et il faut que vous soyez bien positionnés pour que votre voix se porte. Ça a déclenché plein de choses pendant ce programme là et il y a eu plusieurs semaines d’ateliers et de masterclass suivis d’un concours. Et franchement, c’était une bonne expérience et j’encourage beaucoup de personnes à postuler à ce programme parce que au départ, l’association était au départ Éloquence pour le bégaiement. C’était Mouna qui lui-même est une personne qui bégaie et qui avait fait de l’éloquence dans son école et qui a eu l’expérience, cette expérience-là et qui a voulu apprendre l’éloquence aux autres. Donc il a créé les programmes d’abord à destination des personnes qui bégaient et donc la première année où j’ai eu la chance de faire partie, ils avaient décidé d’ouvrir le programme Éloquence à d’autres différences, dont la surdité, la vue, la trisomie 23 et l’autisme. Et c’était tout nouveau. Et ça nous a permis à chacun et chacune de nous exprimer, à nous apprivoiser.

 

Olivier My: Les groupes étaient mixtes handicap entre guillemets ?

 

Emmanuelle Aboaf: Non, c’était chaque groupe par handicap parce que nos besoins ne sont pas du tout les mêmes.

 

Olivier My: Oui, d’accord.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est vraiment, vraiment des cours vraiment spécifiques parce que la façon d’enseigner, c’est pas du tout les mêmes. Et depuis ce programme, on m’a demandé de faire partie du C.A.

 

Olivier My: Ok, super!

 

Emmanuelle Aboaf: Ils avaient besoin de diversité dans le C.A. donc si je pouvais représenter les personnes sourdes et malentendantes à l’Éloquence. Voilà. Donc dès que je peux, je fais de la pub à cette association.

 

Olivier My: Super !

 

Emmanuelle Aboaf: Et depuis, on a ouvert plein de programmes. En ce moment se déroule le programme Jeunes Éloquents pour donner envie et surtout donner confiance aux jeunes qui subissent beaucoup de moqueries au sujet de leur voix, qui subissent du harcèlement et du coup ils manquent cruellement de confiance en eux. Et le programme Jeunes Éloquents va justement leur permettre de donner des armes, de leur permettre d’apprivoiser et de leur apprendre à être davantage confiants, de gagner en confiance parce que c’est vraiment important. Et j’ai aucun doute que ce programme va réussir et va trouver beaucoup d’échos en ces jeunes.

 

Olivier My: C’est super important de voir que prendre sa place, donner de la voix et travailler sur ça, ça aide énormément à l’identité de chacune des personnes pour qu’elles puissent s’exprimer plus pleinement plutôt que d’aller dans la masse. Il y a un peu ce paradoxe de on demande aux gens d’innover, d’être différents, d’accepter la différence et en même temps on dit il faut faire tous pareil pour pas trop faire de vagues. Et je trouve ça toujours dingue.

 

Emmanuelle Aboaf: On nous a appris à nous faire petit.

 

Olivier My: Oui, exactement.

 

Emmanuelle Aboaf: Et j’ai toujours pensé que l’éloquence était réservée aux élites. Et je me souviens de Virginie Delalande qui a fait le grand oral devant des millions de téléspectateurs en montrant son éloquence. Je me suis dit mais c’est juste incroyable ce qu’elle avait fait. Et je la connais très bien. J’ai grandi avec elle. Le monde des personnes sourdes et malentendantes est petit du coup, on se connaît pas mal entre-nous. Et c’est vrai que voir Virginie qui a eu le courage de donner de la voix parce que justement notre voix c’est quand même notre point faible, surtout qu’on a une voix atypique. Une voix avec un accent. L’apprivoiser, mine de rien, après des heures et des heures d’orthophonie et malgré des années d’orthophonie, avoir confiance en sa voix, ce n’est pas une chose évidente. Alors une personne qui bégaie, une personne qui n’a pas du tout confiance en elle, donner de la voix, ça peut se révéler un challenge.

 

Olivier My: Oui, je comprends. Et en tout cas, grâce à ça, tu as fait partie de l’élite. Maintenant, tu fais partie de l’élite de la France, c’est ça ?

 

Emmanuelle Aboaf: Non, pas du tout, pas du tout. Mais j’aime bien dire que l’éloquence c’est pas réservé aux élites parce-que tout le monde peut accéder à l’éloquence. Et maintenant il y a des programmes qui existent pour donner justement les moyens d’être éloquent parce que c’est parler en public et c’est quand même un exercice difficile. Et tu m’as demandé comment je me sentais ce jour là la première fois quand j’ai donné cette conférence, je ne savais absolument rien. Je n’avais pas du tout confiance en moi. Mais je savais une chose, j’avais des choses à dire, mais je ne savais pas comment transmettre.

 

Olivier My: Et donc justement, avant de monter sur scène, donc tu étais dans tous ces états là. Quand tu as été sur scène, comment ça s’est passé alors cette première conférence ?

 

Emmanuelle Aboaf: Pour être franche, je ne me souviens absolument de rien.

 

Olivier My: Tu sais que ça a eu lieu. Il y avait le avant, le pendant, il y a un black-out.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est ça. Je me souviens des amis qui étaient là au premier rang pour me supporter. C’étaient mes fervents supporters. Ils étaient là. Voilà. Oui, je voyais lire sur les lèvres, oui je suis d’accord avec ce qu’elle dit. Voilà, entre amis, tout ça. Et ça m’a donné vraiment confiance en moi de continuer. Et c’est vrai que par moment, j’ai eu des moments de suspense, enfin de.

 

Olivier My: De stress, de choses comme ça ?

 

Emmanuelle Aboaf: Oui, des hésitations, voilà. Mais je ne me suis pas laissée démonter.

 

Olivier My: Et c’est le principal. On ne se rend pas compte que quand on est sur scène, il se passe plein de trucs. Il y a ce que les gens dégagent à l’extérieur, mais dans la tête, il y a des doutes. Moi, j’ai fait une conférence, tu vois, il y a maintenant c’était quoi en juin je crois. Où j’ai fait une phrase et quand je le faisais en répétition dans ma tête, je le faisais de manière naturelle et donc je ne réfléchissais pas trop quand je le faisais. Et dans cette conférence là, du coup, c’était une keynote d’ouverture en plus. J’ai fait cette phrase là et au milieu, je ne sais pas pourquoi, je me suis posé la question. Je me suis dit mais est ce que les mots sont dans le bon sens ? Et du coup, ça m’a fait bugguer totalement. J’ai pas réussi à faire la phrase quatre, cinq fois, six fois. Et après, bah comment tu gères ça quoi ? Et je me rappellerai de ce moment parce que il se passe quelque chose dans ta tête quoi. En tant que conférencier, tu dois gérer ta voix intérieure et en même temps réussir à partager le message que tu as pour les gens quoi. Mais ce que je trouve intéressant quand même dans ce que tu racontes, c’est qu’il y a cette dimension de tu crées une conversation avec un public. Et avant il n’y avait pas cette conversation sur les sujets que tu amènes et maintenant tu incarnes vraiment le message que tu veux faire passer. Et vu que c’est bien reçu bah c’est encore mieux parce que ça veut dire que ça se diffuse encore plus vite. Et chapeau en tous cas.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est vrai, mais contrairement à toi, je n’ai pas encore fait de keynote. J’imagine que c’est une pression supplémentaire.

 

Olivier My: C’est un message qui est envoyé aux conférences. Emmanuelle n’a pas encore fait de keynote.

 

Emmanuelle Aboaf: Mais j’ai fait un TEDx.

 

Olivier My: C’est vachement bien déjà aussi.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est déjà très bien. C’était une sacrée expérience parce que c’était Albane qui m’avait conseillé de faire un TEDx et qui m’a aidée à postuler. Et c’est vrai que c’est tout un autre niveau de faire passer un message d’inclusion dans un TedX. C’est vraiment un moment très fort dont je m’en souviendrai toute ma vie et j’ai hâte de voir la vidéo si c’est pas indisponible.

 

Olivier My: C’est pas encore disponible ?

 

Emmanuelle Aboaf: Non, c’est pas encore publié. J’ai fait le TEdx en juin donc il faut plusieurs mois j’imagine de montage pour que ce soit disponible. J’ai hâte de l’avoir.

 

Olivier My: On attend ça avec impatience pour voir ça aussi.

 

Emmanuelle Aboaf: Donc le TEDx ça surpasse un peu la Keynote. C’est un autre niveau.

 

Olivier My: Tu es encore plus dans l’élite pour moi quand tu as fait un TEDx. Moi, je n’ai pas encore eu cette chance là. Je ne sais pas si j’ai le courage de le faire, mais on n’est pas à l’abri qu’un jour ça arrive. Parce qu’effectivement, le fait de partager un message comme ça, je trouve que c’est une manière d’influencer le monde dans le sens que toi tu cherches à amener à l’extérieur. Et je trouve qu’en fait c’est c’est extraordinaire pour amener un changement qui passe par l’inspiration.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est vrai, c’est vrai. Et j’avais beaucoup de pression ce jour là parce que je me disais il fallait pas que je me loupe malgré les répétitions. Je me sentais observée, je me sentais. Voilà, TEDx c’est quand même une sacrée scène. Mais c’était organisé par une école, qui est une école, ISC Paris, une école de commerce. Et vraiment, c’était un honneur pour moi d’être invitée, de pouvoir parler sur des sujets qui me tiennent à cœur parce que justement, le sujet c’était autour de l’IA. Alors moi parler de l’IA au service de l’accessibilité, au service du handicap, j’étais tout à fait dans mon élément, mais malgré moi, j’avais quand même la pression pour réussir à faire passer le message.

 

Olivier My: Comme toujours, on se met toujours la pression et c’est important parce que ça veut aussi dire que tu voulais apporter quelque chose de qualité en étant pleinement toi. Donc c’est super. Tu as évoqué un thème là que j’ai pas envie de laisser filer parce que tu disais dans ton passé, dans ta jeunesse, il n’y avait pas autant de technologies qui te permettaient justement d’avoir accès aux éléments. Aujourd’hui, l’IA arrive. Qu’est ce que ça a changé pour toi et pour d’autres personnes qui ont pu avoir des problèmes ?

 

Emmanuelle Aboaf: Beaucoup de choses. Beaucoup de choses. L’IA, notamment générative, permet justement d’aider les personnes handicapées à réaliser leurs tâches. Parce que c’est pas toujours évident. Notamment moi par exemple, j’utilise des sous-titres automatiques pour suivre les réunions même si j’utilise un outil géré par des vraies personnes. Mais la prestation, le prestataire n’est pas tout le temps disponible. Je ne peux pas tout le temps le solliciter donc des fois je vais utiliser des outils de sous-titrage automatique, mais ce n’est pas toujours fiable. Il y a encore pas mal d’erreurs, donc il faut faire quand même une suppléance mentale pour déchiffrer quand il y a des erreurs et ça c’est mine de rien, ça demande beaucoup d’énergie. Néanmoins, chaque jour, il y a des progrès, ça évolue et c’est vraiment très impressionnant. Et j’utilise aussi d’autres outils comme la reformulation du texte parce que même si j’ai un bon niveau de français, des fois je ne mets pas les bons mots dans le bon sens, je fais des phrases qui n’ont ni queue ni tête et qui ont du sens pour moi, mais pas forcément pour les autres. Le fait que l’IA m’aide à reformuler en gardant ma patte ça m’aide beaucoup. Donc voilà, c’est des choses comme ça qui font que ça me facilite et je vois d’autres personnes handicapées qui utilisent l’IA pour d’autres choses, notamment pour la reconnaissance des objets, la reconnaissance des émotions pour détecter les éléments qu’ils ne pourraient pas voir.

 

Emmanuelle Aboaf: Et puis dicter les choses quand ils peuvent pas passer par l’écrit. L’IA, elle permet de faire énormément de choses à condition de t’en servir comme un outil s’il faut garder ça bien en tête. L’IA n’a pas pour vocation de régler vos problèmes, d’être la réponse à vos prières, de résoudre vos problèmes. Et surtout, ce n’est pas votre amie parce que on connaît des personnes qui confient tous leurs secrets à l’IA en disant l’IA c’est ma confidente, elle me comprend, elle me rassure et quand elles lui posent des questions me dit explique-moi ça, le problème de l’IA, c’est qu’elle n’est pas objective. Elle n’est pas omnisciente et des fois elle peut dire des choses fausses. Donc on peut perdre l’esprit critique. À contrario, c’est quand même délicat, l’IA n’est pas une solution pour la santé mentale. Il faut toujours vraiment contacter les personnes compétentes quand on a des problèmes psychologiques et l’IA, elle ne va pas résoudre vos problèmes de santé mentale. C’est de ça qu’il s’agit parce que les personnes qui sont pas dans la tech croient que l’IA a raison et a la réponse à tout. Parce-qu’elles ne savent pas comment c’est fait derrière. Alors qu’on sait bien que l’IA a des biais et des idées préconçues. Par exemple du handicap, elle a une vision très étriquée du handicap.

 

Olivier My: Ah je ne savais pas ça.

 

Emmanuelle Aboaf: Ah oui. Non mais quand j’essaie de demander à l’IA de me faire des belles images de personnes sourdes. Elle n’arrive pas à dessiner des appareils auditifs correctement. C’est juste un truc de fou.

 

Olivier My: Du coup, ça ressemble à quoi alors ?

 

Emmanuelle Aboaf: Des appareils très futuristes, avec des antennes partout. La première fois, j’avais demandé à Midjourney, généralement une personne sourde, une femme sourde, et elle a dessiné que des vieilles dames. Est-ce que d’après toi j’ai l’air d’être une vieille dame ?

 

Olivier My: Non mais c’est marrant de voir les liens de cause à effet que l’IA a faite. Et c’est là où je te rejoins, et c’est la beauté de ce que tu dis, c’est que dans la tech, malheureusement le syndrome principal c’est d’avoir un peu ce syndrome de la baguette magique. On a l’impression que ce truc là, voilà, ça va changer ma vie, ça va me faciliter les choses, mais pas au sens où je vais faire quelque chose. Et ce truc là va me permettre d’aller soit plus vite, soit faire mieux ou etc. C’est je n’ai rien à faire et le truc va se faire tout seul, c’est ça. Et ça c’est le problème principal qu’on voit dans les entreprises. Typiquement, on le voit dans les projets, on se dit il y a ce nouvel outil, il y a cette nouvelle méthode et voilà ça va changer le fait qu’on livre plus vite ou mieux ou etc. Tu vois, dans le monde de l’agilité, typiquement, c’est ça. On a pris ce truc là, on s’est dit OK, maintenant on l’applique souvent on l’applique mal, mais c’est pareil. Mais en fait on n’adresse pas les vrais problèmes et si on n’adresse pas les mêmes problèmes, bah du coup on ne change rien.

 

Emmanuelle Aboaf: On a tendance à oublier que l’IA, elle est là pour vous aider à réaliser certaines tâches, mais elle ne va pas faire tout à votre place. On aura toujours besoin de personnes pour perfectionner les solutions. Par exemple, je prends un exemple tout simple on peut demander à l’IA de sous-titrer ou transcrire une vidéo ou un podcast, mais est-ce que pourtant le résultat sera correct ? Ça dépend du contexte, ça dépend des personnes qui parlent. Moi je sais que quand je prends la parole, l’IA, elle va avoir beaucoup de mal à me transcrire. Je te dis tout de suite quand tu vas utiliser cet outil, tu vas avoir beaucoup d’erreurs. Je te souhaite bon courage pour corriger.

 

Olivier My: Je te remercie par avance.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est pour ça que je dis toujours que c’est important de vérifier ce que l’IA produit et de corriger derrière les erreurs de l’IA, donc corriger les erreurs de transcription de sous-titrage. Et j’aime bien dire que c’est ce qui fait qu’une intelligence artificielle avec l’intelligence humaine rend l’expérience meilleure. L’un ne va pas sans l’autre.

 

Olivier My: Et c’est super de le rappeler. Et je pense qu’il ne suffira pas que d’une fois. Il faudra le rappeler de manière continuelle pour éviter justement les dérives. Sinon on va devenir esclave des machines si ce n’est pas déjà le cas. Encore une fois. Et oui, effectivement, je me disais que la transcription serait compliquée, moi qui commence à le faire mais je le fais parce que je sais que c’est important et je veux justement que ton message puisse aussi accéder à toutes ces personnes et les autres interviews que j’ai faites aussi puissent y accéder. Et maintenant que je commence à faire les transcriptions, je me rends déjà compte qu’il y a à peu près, je crois, 95 % des choses, tu vois, et où on te dit c’est à peu près OK, mais même avec 95 % de choses correctes, je mets à peu près deux fois le temps de mon temps de podcast. Et vu que moi j’ai décidé de pas faire des podcasts courts, je peux te dire qu’effectivement ça me prend du temps. Donc je penserai beaucoup à toi quand je serai.

 

Emmanuelle Aboaf: Je suis totalement consciente qu’utiliser un outil automatique, ça permet quand même de faire gagner du temps parce que il y a la transcription et il y a la synchronisation qui est faite donc il n’y a pas à faire tout faire manuellement, c’est juste que la correction ça prend du temps, deux fois plus de temps.

 

Olivier My: Exactement.

 

Emmanuelle Aboaf: Que de faire manuellement. Donc il y a des personnes qui préfèrent le faire tout manuellement parce que des fois ça va plus vite, mais en même temps, il faut trouver les bonnes astuces, les bons outils qui conviennent pour pouvoir réaliser cette tâche comme on veut.

 

Olivier My: Ça dépend comment on fonctionne. Il y a plein d’aspects de contexte et je trouve que ce terme là est super important parce que quand on veut déclencher un changement, quel qu’il soit, on peut s’appuyer sur des outils, des méthodes, des process et on ne se rend pas compte en fait de l’importance du contexte.

 

Emmanuelle Aboaf: Tout à fait. Et en plus, l’IA elle fonctionne qu’avec un certain nombre d’échantillons qu’on lui a donné et l’IA n’a pas appris à comprendre les personnes qui ont des voix atypiques ou des accents. On a pris que la majorité des personnes qui se fondent dans le moule, donc forcément, quand c’est une autre partie de la population qu’on n’a pas pris en compte, tu te souviens sûrement de l’affaire des reconnaissances faciales qui ne reconnaît pas les personnes noires parce que c’est les algorithmes n’étaient faits que par des hommes blancs et moi j’aime bien dire, enfin, il faut le dire, souvent les algorithmes sont faits par des hommes blancs valides parce qu’ils ne prennent pas non plus l’aspect du handicap. Et ces sujets issus de la minorité de la diversité sont souvent sous estimés. Et c’est pour ça que j’encourage qu’il y ait davantage de personnes handicapées dans la tech, davantage de femmes dans la tech, de personnes racisées dans la tech, pour pouvoir justement réduire les biais, réduire les inégalités dans les échantillons, dans les produits.

 

Olivier My: Et améliorer finalement la qualité des produits au final. Bah super, Merci beaucoup pour tout ça. Ce que je te propose, c’est qu’on passe à la dernière séquence de ce podcast. Donc j’aurais encore eu plein de questions mais effectivement, je pense que ça peut valoir la peine qu’on passe à cette fin de.

 

Emmanuelle Aboaf: Il faudra peut être que je revienne alors.

 

Olivier My: Exactement, mais attends que je fasse la transcription d’abord de cet épisode là.

 

Emmanuelle Aboaf: Bon courage en tout cas. Tu peux me solliciter si t’as besoin que je relise.

 

Olivier My: Merci bien. Donc, comme je t’avais expliqué en arrivant pour créer ta curiosité surtout, j’ai des cartes sur cette table là qui ont été présélectionnées rien que pour toi. Mais en plus pour toi, un truc spécifique que j’ai pas encore fait avec les autres invités. Tu as des cartes avec différentes couleurs. Tu ne sais pas vraiment à quoi ça correspond. En vrai, ça ne change pas grand chose, c’est juste une question de couleur. Et donc ce que je vais te proposer, c’est que tu vas mélanger les cartes sans les regarder bien évidemment.

 

Emmanuelle Aboaf: Je ne triche pas.

 

Olivier My: Non, tu ne triches pas.

 

Emmanuelle Aboaf: Il n’y a pas vraiment moyen de tricher. En vrai, on s’en fout. Et tu en sélectionnes une.

 

Emmanuelle Aboaf: Je prends la bleue parce que c’est ma couleur préférée qui m’a porté chance.

 

Olivier My: Très bien. Donc tu vas la lire. Donc tu peux la lire à haute voix ?

 

Emmanuelle Aboaf: Si tu pouvais dîner avec n’importe qui dans le monde qui serait-ce ? Ouh la. Ça c’est une question existentielle. J’en ai aucune idée. Franchement, je vais être franche, il y a aucun nom qui me vient à l’esprit.

 

Olivier My: Il n’y a rien qui te vient à l’esprit ?

 

Emmanuelle Aboaf: J’imagine que ce serait une personne qui serait en accord avec mes valeurs, avec qui je pourrais débattre sur les sujets de philosophie, sur les sujets existentiels. Voilà. Mais je suis vraiment j’en ai aucune idée.

 

Olivier My: Il n’y a rien qui te vient à l’esprit. C’est pas grave ! C’était l’occasion de se poser la question. Ce que je te propose maintenant, du coup, celle-là tu la mets de côté, c’est que tu vas en sélectionner deux au hasard.

 

Emmanuelle Aboaf: Une verte, une bleue.

 

Olivier My: Une verte et une bleue. Ok. Donc tu vas lire les deux et après tu vas décider à laquelle tu veux répondre.

 

Emmanuelle Aboaf: Ok. Quels paysages te font vibrer ? Si ta vie était un conte de fées, quel en serait le titre ? Ouh la. Si tu n’as pas choisi des questions faciles.

 

Olivier My: Non mais je les ai choisies pour toi.

 

Emmanuelle Aboaf: Alors je vais choisir les paysages qui me font vibrer. J’ai eu l’occasion de réaliser un rêve il y a deux ans.

 

Olivier My: Super!

 

Emmanuelle Aboaf: C’était de visiter l’Egypte.

 

Olivier My: Oh super!

 

Emmanuelle Aboaf: Et toute mon enfance, je rêvais des pyramides de l’Egypte. L’antiquité, c’était un sujet qui me tenait énormément à cœur. Et puis surtout, j’avais une orthophoniste qui était passionnée par l’Égypte.

 

Olivier My: Ah ça aide.

 

Emmanuelle Aboaf: Elle voyageait beaucoup. Elle me racontait des tas de choses et j’ai pu passer par une agence pour visiter l’Egypte et j’ai vu des pyramides, des temples, des paysages magnifiques et qui m’a fait énormément vibrer.

 

Olivier My: Ça a vraiment été à la fois un rêve et puis une belle découverte en étant devant ?

 

Emmanuelle Aboaf: Complètement. Aujourd’hui je garde ces souvenirs qui me tiennent énormément à cœur. Et la deuxième chose, c’est que j’adore les couchers de soleil et les levers de soleil. Pour moi, le coucher et le lever de soleil, ce sont des moments magiques et des moments que je savoure. C’est les plus beaux moments qu’il y a sur terre qui me font penser qu’on est si petit sur terre. On est une personne face à une immensité du monde. Et ce goût là, ça m’a été transmis par ma grand-mère parce qu’elle me racontait qu’à Trouville quand le soleil se couchait, je passais, j’avais le visage collé à la vitre et je regardais le coucher de soleil et je comptais jusqu’à ce que je ne voie plus le soleil.

 

Olivier My: Ça devait être long.

 

Emmanuelle Aboaf: Je suppose. Mais cette passion là ne m’a jamais quittée. Et j’ai toujours apprécié ces moments là. Et j’ai eu des rares fois où j’ai vu des éclats verts au coucher de soleil et qui font que c’était waouh! Et mon premier lever du soleil, c’était juste incroyable.

 

Olivier My: C’était où ?

 

Emmanuelle Aboaf: À Massada, en Israël.

 

Olivier My: Ouais.

 

Emmanuelle Aboaf: Et au cours d’un voyage, j’ai vu Massada. Et voir le soleil se lever à 4 h du matin, on va dire. C’était très très tôt parce-que jusqu’ici je n’avais jamais vu. Et ça rend plus beau le coucher de soleil parce que c’est quelque chose qu’on ne voit jamais. Parce qu’il se lève très tôt le matin et à Paris, c’est pas fait pour.

 

Olivier My: C’est pas fait pour effectivement.

 

Emmanuelle Aboaf: Et dans les conditions comme ça à Massada, à l’horizon, d’attendre frileusement de voir mais quand est-ce qu’il va se lever et puis voir les premières lueurs et puis ce lever mais c’est juste, voir le paysage devenir tout rouge, tout orange, jaune. Et puis se lever, faire sa vie. C’était juste incroyable.

 

Olivier My: Merci de nous partager ces belles images, parce que moi je l’ai imaginé pendant que tu le décrivais. Donc merci beaucoup.

 

Emmanuelle Aboaf: Avec plaisir.

 

Olivier My: Ce que je te propose, c’est qu’on va en faire une dernière, mais pour cette dernière, tu vas en sélectionner trois, sauf que tu vas me les donner. Tu sélectionnes les trois, c’est moi qui vais choisir, donc je vais te les lire. Je te sens très à l’aise.

 

Emmanuelle Aboaf: Seulement pour la première question, je n’ai pas su répondre.

 

Olivier My: Alors je vais te regarder pendant que je lis la question. Donc il y en a trois. Je vais d’abord te lire les trois et puis après on va sélectionner. Cite une personne qui t’inspire en ce moment et pourquoi. Ok, tu as l’air bien trop à l’aise. Deuxième question où aimerais-tu aller en vacances les douze prochains mois ? Et qu’aimerais-tu y faire ? Ok ? Et la dernière, moi j’aime bien celle-là. C’est Raconte moi la dernière fois où tu as fait quelque chose pour la première fois. Est ce qu’il y en a une que tu préfères ? Moi j’aime bien la dernière parce que j’aime bien la formulation. Mais au-delà de ça.

 

Emmanuelle Aboaf: Choisis la dernière, la dernière fois que j’ai fait pour la première fois. Je ne vais pas répéter ce que j’ai déjà dit parce que c’est vrai que le TEDx c’était quelque chose d’unique que j’ai fait pour la première fois. Mais il y a des choses. Un truc tout simple. Entrer dans une librairie féministe.

 

Olivier My: Ok.

 

Emmanuelle Aboaf: J’adore les librairies et je suis ici. Je me sentais pas considérée comme une féministe en tant que telle parce que je mène mes propres combats pour l’inclusion, l’accessibilité. Et c’est vrai que pendant longtemps, je m’étais considérée avant tout comme une personne sourde, avant d’être une femme. D’ailleurs, on me l’avait bien fait sentir pendant toutes ces années que voilà, ma condition de personne sourde allait en premier avant d’être une femme. Et me poser toutes ces questions féministes, ce n’est pas une chose qui me venait naturellement. Comme le choix de ne pas avoir d’enfant et ça je l’avais réalisé il y a longtemps que je ne voulais pas avoir d’enfant, mais il me manquait des ressources et il me manquait des informations et j’ai eu le courage d’entrer dans cette librairie féministe pour trouver des livres qui traitaient le sujet. Parce que c’est vrai, on entend des sujets très sociétaux en se disant oui, à cause de l’écologie, tout ça, on ne fait pas d’enfants, bla bla bla. Il y a beaucoup de préjugés autour de ça. Mon choix, c’était dû avant tout parce que je ne me sentais pas capable de gérer ma surdité et gérer les enfants. Il y en a très bien qui y arrivent, mais c’est une charge mentale que je ne me vois pas supporter parce-que déjà la charge mentale, elle est là au travail. Alors avoir une charge mentale en s’occupant des enfants, c’est très compliqué. Je vois bien avec ma sœur qui a trois enfants, ça demande beaucoup d’énergie, beaucoup de travail.

 

Olivier My: Et c’est un choix. C’est un vrai choix et c’est aussi courageux de choisir d’aller dans un sens que d’aller dans l’autre ce qui est important, c’est de l’assumer au final.

 

Emmanuelle Aboaf: C’est ça. Et on m’avait conseillé plein de librairies féministes, mais je ne me sentais pas légitime. Bien sûr, j’ai consommé des articles féministes, des vidéos féministes, mais aller moi-même chercher l’information, de s’intéresser, de trouver des ressources très spécifiques, c’est un pas de géant pour moi en fait. C’est de me sentir en tant que femme. Ben oui, j’ai le droit de faire mes propres choix. J’assume plein de choses, mais après c’est vrai que j’ai souvent des doutes. J’entends souvent des réflexions et comment trouver des arguments par rapport à ça ? Et trouver la réponse dans les livres, ça peut aider. Et comme je disais à la libraire mais je ne pensais pas trouver des genres de livres que je voulais dans une librairie féministe parce que c’est vrai, j’avais cherché ça dans les librairies normales et il n’y avait pas toutes ces réponses. Mine de rien, c’est quand même quelque chose de nouveau. Toutes les informations sont là sur internet, mais on entend de tout et n’importe quoi. Comment s’y fier ? Comment être conseillée ? Et si on peut être conseillée par des libraires avec des livres qui peuvent t’aider c’est juste énorme. Mine de rien.

 

Olivier My: C’est une belle première fois. C’était courageux et c’est pour ça que j’aime cette question là parce qu’on se rend plus compte qu’à chaque fois qu’on fait quelque chose pour la première fois, c’est en fait un acte de courage que l’on a eu parce qu’on sort de notre zone de confort. Et ça, je trouve ça extraordinaire. Donc merci en tout cas pour ce partage.

 

Emmanuelle Aboaf: Merci.

 

Olivier My: Si les personnes veulent discuter avec toi, continuer un peu cette conversation, voire même découvrir quelle était cette librairie féministe parce qu’on ne va pas le dire, comment est ce qu’on fait pour te contacter ?

 

Emmanuelle Aboaf: Alors je suis très joignable sur les réseaux sociaux, notamment LinkedIn. Je ne vais plus du tout sur Twitter/X pour des raisons qu’on connaît. Voilà. Et au final, j’aime bien être sur LinkedIn pour partager des messages de l’inclusion. Je suis aussi sur Mastodon et Bluesky qui sont des réseaux sociaux safe. Et sinon il y a des emails aussi. Mais surtout ne me contactez pas par téléphone, ne me téléphonez pas et ne me laissez pas de message vocaux, ça ne sert à rien.

 

Olivier My: Merci. C’est bien de l’avoir précisé. Merci Emmanuelle, c’était très cool.

 

Emmanuelle Aboaf: Merci à toi Olivier, c’était un plaisir d’avoir discuté avec toi.

 

Olivier My: Et puis à la prochaine!

 

Emmanuelle Aboaf: À la prochaine!

 

Olivier My: Salut!

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